L’être humain est plein de bonne volonté. La plupart des gens affirmeront qu’ils ont une conscience écologique, qu’ils trient leurs déchets, font attention à ne pas gaspiller l’eau. Que d’envoyer des sms en conduisant est mal, et qu’il faut respecter les limitations de vitesse. Qu’il faut faire du sport et maintenir une activité physique dans un monje vade enclin à la sédentarité. Qu’il faut manger mieux ou moins, boire plus d’eau. Bref, l’être humain est plein de bonne volonté.
Mais la bonne volonté suffit-elle ? C’est l’intention qui compte, dit le dicton. Mais quelquefois, l’action prévaut sur l’intention.
Alors pourquoi retrouve-t-on encore des déchets non triés, pourquoi met-on encore des PV pour excès de vitesse ? Pourquoi les toilettes ne sont jamais « dans l’état dans lequel vous les avez trouvées » ?
Parce que dans le comportement humain, la prise de décision dépend d’énormément de facteurs, et ne repose pas seulement sur l’intention. Elle est le fruit d’un mélange complexe intracrânien, que de nombreux marketeurs, psychologues, économistes tentent de déchiffrer depuis longtemps.
En 2002, Daniel Kahneman, un psychologue et économiste, reçoit le prix Nobel d’économie pour ses études sur les comportements, et notamment à sa théorie concernant les deux vitesses de la pensée. Selon lui, il existe deux systèmes de pensées : le système un, automatique, instinctif et rapide, et le système 2, plus réfléchi, plus lent, nécessitant ainsi plus d’efforts. Pour chaque prise de décision, l’humain va commencer par préférer le système instinctif et rapide, et s’il ne trouve pas de réponse immédiate, passera alors au système deux.
Daniel Kahneman et son ouvrage Thinking Fast & Slow
(Farrar, Straus and Giroux; 1st edition (April 2, 2013))
En plus de ces deux systèmes de pensées, il essaie d’expliquer pourquoi nos comportements diffèrent quelquefois de nos intentions. Il arrivera à démontrer que ces comportements qui peuvent paraître irrationnels, parce que contraire à nos intentions, sont en réalité assez systématiques, prévisibles. En plus de ces deux systèmes, il met en évidence une centaine de biais, c’est-à-dire d’éléments qui vont biaiser, court-circuiter le raisonnement. Qui vont faire qu’au lieu d’agir en adéquation avec son intention, l’humain fera autre chose. Par exemple, lorsque nous avons une grande assiette, au lieu de nous restreindre pour garder la ligne, nous aurons tendance à la remplir. Beaucoup de régimes préconisent alors l’utilisation de plus petites assiettes, afin de toujours garder une assiette pleine, tout en mangeant moins. Ce comportement est dû au biais d’ancrage, c’est-à-dire le fait que l’assiette à remplir nous sert d’ancre. Nous pouvons aussi citer le biais social, qui correspond à notre tendance à suivre le mouvement de masse, ou le biais de gratification, le fait de trouver plaisant ou gratifiant de réaliser une action.
La bonne nouvelle est qu’une fois qu’on a compris comment fonctionne ce système de réflexion et ses biais, on va pouvoir agir dessus et faire passer les gens qui ont déjà une intention, à l’action.
Il est alors possible de contourner chaque biais, à l’aide d’un petit élément incitatif, un petit coup de pouce, qui va aider à passer à l’action. Ce petit coup de pouce, se traduit par nudge. L’assiette plus petite dans les régimes, par exemple, est un nudge.
L’exemple le plus connu de nudge, reste cet autocollant de mouche.
À quoi sert-il ? Et bien, nous serons tous d’accord qu’en théorie, tous les hommes souhaitent quitter les urinoirs en les laissant propre. Mais en pratique, les services de nettoyage de structures publiques constatent très souvent que si l’intention est là, la visée n’est malheureusement pas optimale pour tous. Alors pour pallier ce problème, l’aéroport d’Amsterdam Schipol a collé au fond de ses urinoirs ces stickers de fausses mouches. Au bout d’un mois, l’aéroport a réussi à réduire de 80% ses dépenses dans le nettoyage des toilettes des hommes. Ici, le biais de gratification est utilisé, en rendant satisfaisant le fait de réussir à viser la fameuse mouche.
Il est à noter que le nudge est toujours utilisé comme un coup de pouce, qui laisse toujours le choix à son utilisateur, sans jamais le contraindre.
Par exemple, à Rennes, pour inciter les voyageurs à prendre les escaliers plutôt que les escalators, on a pu observer un décor assez particulier, inspiré par une installation similaire à Stockholm :
Le libre arbitre est toujours présent : les escalators ne sont pas fermés ou interdits. Les passagers ont toujours le choix. Cependant, la banalité, l’effort et le manque d’apport ludique de l’escalier sont compensés par les touches de piano qui ornent chaque marche. On retrouve également un nudge similaire dans les métros de Hambourg, où les escaliers se sont transformés en véritables pistes de courses, afin de transformer les valeureux qui prennent encore les escaliers, en véritables athlètes.
Les nudges sont le fruit d’études comportementales, et sont controversés par leur caractère quelque peu manipulatoire. Pour cela, certains chercheurs¹ classifient les nudges selon :
Transparent |
Non Transparent |
|
Système 1 – Logique et contrôlé |
Nudge 1 : Influence transparente (manipulation technique) du comportement |
Nudge 2 : Manipulation du comportement |
Système 2 – Emotionnel et intuitif |
Nudge 3 : Faciliter de manière transparente un choix cohérent |
Nudge 4 : Manipulation du choix |
D’après Hansen et Jesperson (2013)
Pour eux, si le nudge est transparent sur ce qu’il veut induire comme action, il est moins discutable, parce que honnête. De même s’il ne touche que le système un et pas le deux, il ne va pas modifier l’intention, et au contraire va pousser le comportement afin qu’il soit en adéquation avec l’intention.
Pour conclure, nous pouvons définir le Nudge Marketing comme un marketing utilisant des nudges, des éléments qui vont aider le prospect à faire une action qui est en accord avec ses intentions initiales. Ces nudges vont aider à aligner intention et action, dans des moments où la prise de décision est biaisée et ainsi paraîtra irrationnelle, puisque complètement contraire à ce que le prospect compte faire. Le Nudge marketing est ainsi un croisement entre marketing et sciences comportementales, basé sur une étude de la prise de décision et ses biais. Souvent, il est combiné avec de la pure information, et sert une cause environnementale ou de santé mais pas seulement. À l’image des trains Ouigo, qui en transformant ses poubelles en monstres pour inciter les enfants à aller jeter leurs déchets a réduit de 14% à 0% les situations de propreté très dégradées, le nudge est puissant mais transparent. Il contourne simplement un biais qui pousse les gens à agir à l’inverse de leurs convictions.
Puisque les nudges s’inscrivent dans de l’étude comportementale et dans l’incitation à l’action, il n’est pas étonnant de les rencontrer dans d’autres situations marketing. Dans la deuxième partie de notre série sur le nudge Marketing, nous verrons comment les nudges se sont également fait une place dans le marketing digital : Comment des sites tels que booking utilisent le biais social pour inciter les internautes à réserver ? Comment améliorer votre taux de conversion en modifiant vos habitudes sur vos call-to-action ?
¹Hansen, Pelle G. and Jespersen, Andreas M., Nudge and the Manipulation of Choice: A Framework for the Responsible Use of the Nudge Approach to Behaviour Change in Public Policy, European Journal of Risk Regulation, 2013 (1), p.3-28 https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2555337